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VOYAGE

AUTOUR DU MONDE

sur la frégate

LA VÉNUS,
——
RELATION.

II.

.

CHAPITRE XIV.

Arrivée de la Venus aux îles Galapagos. -- Colonie de la Floriana. -- Sa population. -- Ses productions. -- Fitz-Patrick. -- Iles: Hood, Chatam, Barington, Porter, Dower, Bindloes, James ou Santiago, Abington, Wénams, Culpepers, Redondo, Albemarle et Narborough.

      Le 21 juin, dès six heures du matin, quatre jours après notre départ du Pérou, nous découvrîmes la terre dans le N.O. 1/4 O.: c'était l'ile Hood que nous apercevions, elle paraissait à peine, et se présentait sous l'apparence de trois petits îlots; nous en étions alors éloignés d'environ trente milles. Peu à peu, en approchant, les parties de l'île, encore noyées, parurent successivement et les îlots, en se réunissant par la base, ne formèrent bientôt plus qu'une seule et même terre.

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      L'île Hood est petite et tout au plus de moyenne élévation; de son sommet principal le terrain s'abaisse en talus allongés, vers l'une et l'autre de ses extrémités, dans une direction générale du S. E. au N. O.; cependant, dans la partie orientale de l'île on apercevait un petit mamelon plus élevé que la côte, qui formait un second sommet; on en voyait encore un troisième situé dans l'intérieur et plus vers le Nord. Cette île était couverte d'une végétation au milieu de laquelle on distinguait des arbres, en général peu élevés et chétifs, mais qui, cependant, dans quelques parties paraissaient plus multipliés et d'une plus belle venue: cette végétation, en effet, n'est composée que d'arbustes mêlés de plantes arborescentes et de plusieurs variétés de cactus. La côte du Sud a peu de relief au rivage; presque partout elle suit, pour l'escarpement et l'élévation, le mouvement du terrain de l'île. La mer brisait avec force sur tout ce littoral, depuis la pointe du S.E. jusqu'à celle de l'O., qui est la plus basse et semble se prolonger sous l'eau à une assez grande distance; un brisant, qui fait suite à cette pointe, et qui marque toujours, lui donne une apparence dangereuse.

      Vers huit heures du matin, dès que nous commencâmes à bien distinguer l'ile Hood, nous aperçûmes dans le Nord l'ile Chatam: la ligne de la côte et ses contours étaient encore peu déterminés, cependant on voyait assez distinctement la haute montagne qui domine la pointe S.E. de cette île. A midi, nous étions à quatre milles et demi environ ou cinq milles au plus,

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au Sud de la pointe orientale de l'île Hood, d'où nous relevions l'extrémité Est au Nord 4° Est du monde; la partie du rivage la plus rapprochée de nous, était à environ trois milles et demi ou quatre milles de distance. Au même moment, nous découvrîmes, du haut des mâts, l'ile Charles et l'îlot de Gardner, mais on ne pouvait encore rien distinguer à cause de l'éloignement. Nous sondâmes au moment de l'observation de la latitude, et nous ne trouvâmes point de fond par 200 brasses. A une heure vingt-cinq minutes nous relevâmes la pointe occidentale de l'île Hood au Nord 4° Est du monde, nous mîmes en panne pour faire des observations et des relèvements: nous étions dans ce moment à quatre milles au plus de la partie de la côte la plus près de nous qui nous restait, aussi, dans la direction du sommet le plus élevé de Hood, et nous trouvâmes, en sondant, 130 brasses d'eau sur un fond de sable fin, roux, mêlé de coquillages moulus; déjà, du pont de la frégate, on distinguait facilement l'île de Gardner et les sommités des montagnes de l'île Charles1.

      Le 22 au matin, à huit heures trente minutes, nous relevions le sommet de l'île de Gardner, au N. du monde; nous observâmes alors pour en fixer la longitude et nous sondâmes pendant le temps des observations, mais sans avoir le fond par 200 brasses; nous continuâmes ensuite notre route pour passer au Sud de l'Ale Charles.

      L'île de Gardner est un gros îlot de la forme d'une


      1 Aujourd'hui nommée île de la Floriana.

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meule de foin, un peu écrasée vers l'Est, qui peut facilement se voir de la pointe Ouest de l'île Hood, c'està-dire d'environ 30 milles; il est couvert d'une végétation active. Auprès de l'îlot de Gardner, et dans l'Ouest de sa position, on voit un gros rocher blanc et stérile, de moyenne élévation, dont la côte est accore et le sommet aplati. Ce rocher est percé, vers son extrémité orientale, en forme d'arche de pont, la direction de la voûte est située du Nord au Sud. On assure que dans l'Est demi-Sud de la pointe orientale de Gardner, et à environ un ou deux milles de distance, il y a une roche sous l'eau qui brise dans les mauvais temps. Du sommet de l'île de Gardner, d'où nous avons cherché à la découvrir, nous n'avons jamais pu l'apercevoir; la mer étant alors trop calme, cette roche ne brisait pas et sans doute elle est assez éloignée ou trop profonde sous l'eau, pour que la tache qu'elle doit occasionner sur la mer puisse être vue à la distance où nousen étions.

      A midi, le même jour, la Vénus se trouvait dans une direction à peu près Est et Ouest de la partie méridionale de l'ile Charles et un peu à l'Ouest de sa pointe la plus occidentale. Dans cette position, nous n'avions pas de fond par 200 brasses. A midi dix minutes nous continuâmes à faire route et nous nous dirigeâmes sur le mouillage de Black-Beach, où nous laissâmes tomber l'ancre vers deux heures, à peu près dans l'Ouest de la seule maison qui existe auprès de l'anse de sable noir, où l'on doit débarquer, et à environ deux tiers de mille de la plage, par 21 brasses d'eau sur un fond de sable fin, roux et noir, parsemé de roches.

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      L'île Charles est beaucoup plus montueuse que celle de Hood, elle est aussi beaucoup plus élevée; les accidents multipliés du terrain, ses montagnes à pics arrondis, servent à sa reconnaissance et à empêcher qu'elle puisse être confondue avec celle de Hood. D'ailleurs l'île de Gardner que l'on voit à environ trois milles dans l'Est de sa position, ferait cesser toute incertitude, s'il pouvait en exister sur sa reconnaissance. A la pointe méridionale de l'ile Charles, on voit un petit rocher élevé sur l'eau dont la distance à la terre est tout au plus d'une encâblure; toute la côte du Sud est saine et accore, mais partout la mer brise beaucoup au rivage. L'ile Charles est couverte d'une riche végétation qui s'étend depuis son sommet jusqu'aux bords de la mer, et elle est boisée dans plusieurs parties. Parmi les plantes que l'on voit sur cette île, on remarque plus particulièement différentes espèces de cactus et un arbre plus élevé que les autres et ordinairement sans feuilles, qui là est très-multiplié. Ces arbres sans feuilles, paraissent morts et comme blanchis ou séchés par le soleil. Tous les voyageurs qui ont visité les îles Galapagos, frappés de cet aspect, ont affirmé, sans avoir vérifié le fait, que ces arbres étaient morts; ils ne le sont cependant pas; ils n'en ont que l'apparence, qu'ils doivent à leur manque de feuilles. Ces arbres, en effet, en étant dépourvus, dans un pays où, en général, elles durent toujours, on a dû supposer tout naturellement qu'ils avaient cessé de végéter.

      Nous rencontrâmes sur la rade de Black-Beach une

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petite goëlette sous le pavillon de la république de l'Equateur; elle était commandée par M. Lawson, lieutenant de vaisseau de la marine de cet Etat. M. Lawson, officier d'un caractère énergique, qui plusieurs fois a été chargé par intérim, du gouvernement de la Floriana, est un marin habile et éclairé; il s'empressa de venir à bord pour nous offrir ses services; et il nous a été d'un secours utile, tant pour les renseignements nautiques que nous en avons reçus, sur cet archipel, que pour les informations curieuses qu'il nous a données sur l'occupation de ces îles par le gouvernement de la république de l'Equateur; sur l'établissement de la nouvelle colonie dans l'ile Charles; sur les différentes productions de cette île; sur la fertilité de son sol, la possibilité d'étendre les cultures entreprises et d'en former de nouvelles; et, enfin, sur le climat, les vents régnants, et tout ce qui peut avoir de l'intérêt, soit pour les sciences, soit pour la navigation.

      En m'arrêtant sur la rade de Black-Beach, qui n'est en réalité qu'un mouillage en pleine côte, mon projet était seulement d'en prendre connaissance. Dès le 23 nous remîmes sous voiles, et nous all?mes mouiller dans la baie de la Poste 1, où nous arrivâmes vers


      1 Post office bay, nom qu'elle a reçu des baleiniers avant que l'île fût habitée; ils avaient soin, lorsqu'ils venaient y relâcher, de laisser dans une bouteille enterrée ou cachée auprès d'un arbre, auquel on faisait une marque apparente, un billet qui, ordinairement, faisait connaître le nom du bâtiment, celui du capitaine et le nombre de barils d'huile déjà faits; c'était un moyeu, pour les baleiniers, de donner de leurs nouvelles aux Etats-Unis,

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quatre heures du soir. Il y avait à ce mouillage le baleinier américain Augusta, en relâche pour prendre des rafraîchissements et du bois. Nous nous occupâmes, dès le soir même, de l'établissement de notre observatoire. La plage n'était pas commode pour cette opération, car partout la côte est bordée de pierres de lave détachées et amoncelées qui forment un sol mobile, inégal, rugueux et très-difficile pour le marcher. Plus à l'intérieur, le terrain n'est pas meilleur et il est en outre couvert presque partout de cactus de plusieurs espèces, d'arbustes épineux et de plantes arborescentes qui empêchent de pénétrer dans l'ile sans préalablement s'être frayé un chemin à la haché. Pendant notre séjour sur cette rade, séjour dont la limite fut celle du temps nécessaire pour les observations magnétiques, nous sondâmes la baie et je visitai la partie orientale de l'île Charles, dans l'espérance de découvrir les roches sous l'eau, que l'on disait exister à la pointe N. E. de cette île et pour m'assurer de l'existence de celle que l'on croit située dans l'Est demi-Sud de l'ilot de Gardner. Nous reconnûmes d'abord, par nos recherches, que les roches portées sur plusieurs cartes, à la pointe N.E. de l'île Charles, n'existent pas où elles sont placées; et, l'assurance de leur non-existence, dans aucune autre partie de cette île, assurance qui, déjà, m'avait été donnée par un marin


car les bâtiments dont la pêche était terminée ne manquaient jamais, avant leur départ, de toucher à cette île pour y faire leur provision de tortues.

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éclairé que j'avais rencontré à Payta, m'a été confirmée en dernier lieu par M. Lawson; mais, ces deux marins m'ont également assuré avoir vu briser la roche située à l'Est demi-Sud de Gardner et avoir reconnu l'écueil Cowan à la pointe N.O. de l'île Hood.

      Le 26 juin au jour, le capitaine Lawson, dont la goëlette avait changé de mouillage en même temps que la Vénus, vint me joindre à bord et nous partîmes aussitôt pour aller à Black-Beach, et de là visiter l'établissement de la Floriana. Nous quittâmes la frégate à 6 heures du matin et nous arrivâmes à la plage de Black-Beach vers 8 heures. Nous eûmes quelque peine à débarquer, car la mer brisait très-haut sur la côte et sans le secours des habitants qui nous attendaient, il eût été difficile de mettre la baleinière assez haut sur le rivage pour l'empêcher d'être brisée.

      Nous trouvâmes à la maison du débarcadère un concours assez nombreux d'habitants qui étaient Venus au-devant de nous: ils nous entourèrent avec empressement et nous accueillirent avec des démonstrations bienveillantes. Peu d'instants après notre débarquement nous partîmes, montés sur des ânes que l'on nous avait amenés, et nous voyageâmes fort paisiblement jusqu'à l'établissement situé à environ un mille et un tiers de la côte, auprès de la première source. Nous cheminâmes, jusqu'à cette station, sur un sentier pierreux dont l'inclinaison, d'abord assez douce, serpente, en montant, au milieu d'une végétation active qui le borde des deux côtés, et ne s'élève pas encore au-dessus de quatre à cinq mètres; cette végéta-

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tion est composée d'arbustes et de plantes vivaces qui, en général, et à peu d'exceptions près, nous montraient une figure nouvelle. Pendant la route, M. Lawson me faisait remarquer les plantes utiles, dont l'usage est le plus répandu parmi les habitants. C'est ainsi qu'il me fit connaître un arbuste, dont la feuille, d'une odeur aromatique, est employée en infusion, comme le thé, dont elle tient lieu: les baleiniers américains, à défaut d'autre, en font également usage; cette boisson est d'ailleurs d'une saveur agréable et trèssaine. M. Lawson ramena mon attention sur l'arbre dont j'ai déjà parlé; c'est le plus grand de tous; il s'élève jusqu'à cinq ou six mètres au-dessus du sol et est très-multiplié dans l'île; il n'avait point alors de feuilles et son écorce, d'une couleur blanchâtre, me l'avait fait prendre pour un arbre mort et brûlé par le soleil. Le capitaine Porter, de la marine des Etats-Unis, et le capitaine Fitz-Roy, de la marine anglaise, en avaient jugé de la même manière, ce qui, malgré l'opinion contraire que j'entendais émettre, me laissait dans une grande incertitude à ce sujet. Pour en sortir nous allâmes jusqu'à l'un de ces arbres, et ayant fait une incision à l'écorce, il en découla aussitôt une liqueur blanche fortement aromatisée: cette liqueur est un baume dont on se sert avec succès pour toute espèce de blessures et l'écorce de l'arbre est utilement employée par les habitants, en applications dans le pansement des plaies. Pour recueillir ce baume, il suffit d'inciser l'écorce comme nous l'avions fait, mais la saison de la sève est

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la plus favorable à cette récolte et c'est alors aussi que l'on s'en occupe.

      Arrivés au premier village, nous nous trouvions à peu près à 300 mètres au-dessus du niveau de la mer, la vue que nous avions de là était magnifique. A nos pieds, nous apercevions toute la côte qui s'étend de la pointe la Selle jusqu'aux roches Dismal situées à la pointe Est de la baie de la Poste. C'était à peu près un liers du développement des côtes de l'île, le reste nous était caché par le relief des montagnes dont nous étions dominés dans l'E.; de là, aussi, nous apercûmes la frégale qui posait majestueusement sur la rade de la Poste, où elle semblait se reposer, et nous vîmes le baleinier Augusta, mouillé près d'elle, mettre à la voile et se diriger vers l'île James. L'horizon étant alors très-clair, nous apercevions à toute vue, dans l'O.N.O., la pointe méridionale de l'île d'Albemarle; plus au Nord que cette pointe, nous distinguions plus facilement les îlots situés à la partie de l'E.S.E. de cette île, et, dans le Nord se montrait l'île James; récemment nommée Santiago par les colons de la Floriana, enfin plus à l'Est encore, on voyait une partie de l'île nommée Indéfatigable ou Porter et tout-à-fait dans l'Est de notre position, la vue était, comme nous l'avons dit, bornée par les montagnes qui s'étendent, d'un côté, vers la pointe du Nord de l'île, et, de l'autre, vers celle du S.O. Dans l’E.S.E. nous avions le grand sommet de l'ile, dont le pic était, dans ce moment, environné de nuages.

      Le village où nous nous arrêtâmes n'est désigné jus-

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qu'à présent que par les noms de la première source; il est composé de huit à dix cases qui naguère étaient habitées, mais il n'y en avait alors que deux ou trois d'occupées. Les habitants vinrent à nous; plusieurs me prièrent d'autoriser les missionnaires que nous avions à bord à descendre à terre pour administrer le baptême à leurs enfants: je leur promis d'engager ces messieurs à se rendre à leurs voeux, puis nous continuâmes à nous diriger vers l'établissement principal.

      En quittant cette station, le chemin est beaucoup plus escarpé, et on s'aperçoit que la végétation devient de plus en plus active à mesure que l'on avance; nous étions de chaque côté environnés d'arbres élevés de sept à huit mètres, qui nous mettaient à l'abri du soleil et rendaient la route très-agréable par la fraîcheur qu'ils donnaient; sur notre gauche nous avions un ravin masqué par les arbres; sur notre droite était le grand sommet de l'île, autour duquel nous gravissions. Dans l'Est de cette montagne, un grand vallon fertile se déroula tout à coup à nos yeux; nous aperçûmes alors des cases établies de distance en distance, entourées de plantations de bananiers, de champs de maïs, de maniocs, de cannes à sucre, de pommes de terre et de légumes de toute espèce; ces cases n'étaient séparées les unes des autres que par des bouquets d'arbres ou par des commencements de défrichements. C'est dans ce vallon que les nouveaux habitants ont trouvé la récompense de leurs travaux dans les récoltes abondantes autant que variées qu'ils ont obtenues. Les bananiers, ainsi que tous les arbres

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importés par les colons, y croissent très-bien; les papayers y sont venus très-beaux, mais ils n'avaient point encore porté de fruits, ce qui était une cause de grande surprise pour les habitants, car ils fleurissaient chaque année; cette stérilité provient sans doute de ce que ces arbres sont, comme les amandiers, des deux sexes et que, jusqu'alors, il ne s'en était trouvé que d'un genre dans l'île, ce qui empêchait qu'ils fussent fécondés et pussent produire; les orangers y étaient aussi d'une belle venue, et étaient également improductifs, sans doute aussi par la même raison; ce qui en serait une sorte de preuve, c'est que les limoniers et les grenadiers ont rapporté des fruits en abondance, et que les figuiers ont aussi donné à profusion des figues excellentes; ces arbres sont, jusqu'à ce jour, les seuls arbres utiles qui aient été naturalisés. Les essais de plantations de cocotiers qui ont été faits n'ont pas réussi jusqu'à présent, probablement parce que les habitants, au lieu de les planter dans les terrains les plus bas et auprès du bord de la mer, où en général ces arbres viennent très-bien, les ont plantés, croyant mieux faire, dans le bassin supérieur de l'ile où la terre végétale est plus abondante et d'une qualité excellente, il est vrai, mais où l'humidité est constante et où le soleil, souvent caché par les brumes qui environnent les pics de l'ile, ne se montre que plus rarement.

      Les arbres indigènes des îles Galapagos offrent 12 ou 15 variétés; les plus grands sont ceux qui produi-

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sent le baume; parmi les autres on remarque plusieurs espèces de lauriers, des caroubiers et d'autres variétés inconnues. Les bois que l'on trouve sur les îles Galapagos, ne sont pas de grande dimension et ne sont point propres au charpentage, mais ils conviennent parfaitement pour la construction des maisons, telles qu'elles sont établies. Trois espèces de cactus sont très-multipliées sur cette île; celle qui se compose de feuilles plates en forme de raquettes y vient d'une grosseur prodigieuse: le tronc a quelquefois 50 centimètres de diamètre et de deux à trois mètres d'élévation, le fruit qu'elle produit adhère immédiatement à la feuille et est d'une saveur peu agréable; cette espèce est extrêmement commune sur les côtes septentrionales d'Afrique. Une seconde variété est formée de parties rondes et allongées, d'environ 60 à 80 centimètres chacune, qui sont superposées les unes sur les autres; elle donne un fruit rouge-violet qui ressemble à de grosses prunes. Ce fruit est rempli, à l'intérieur, d'une substance blanche et molle, mêlée d'une infinité de petites graines noires, comme dans la figue; le goût en est très-agréable et un peu aigrelet: il rappelle celui de nos grosses groseilles. Cette variété est, je crois, celle que les Anglais désignent plus particulièrement sous le nom de Prickly pear. La troisième espèce est trèscommune sur le continent d'Amérique; elle est formée de parties longues et cannelées comme des cierges. L'arbuste qui produit le coton a été trouvé dans les parties les plus basses de l'île et jusqu'à moitié côte dans les terrains en apparence les moins fertiles et

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les plus secs. Cette découverte a donné lieu à l'importation des meilleures espèces de coton de Guayaquil, qui ont été transplantées dans le vallon supérieur et à moitié côte auprès de la première source; ces localités ont été préférées par la même raison qui avait engagé les habitants à y placer les cocotiers. Ces essais sur le cotonnier ont beaucoup mieux réussi dans la dernière situation que dans la partie qui d'abord semblait la plus fertile. Auprès de la première source, les cotonniers ont donné des cocons bien remplis d'un beau coton, très-blanc et à longues soies, tandis que dans le vallon ils ont mal réussi. Les habitants attribuent cette différence de résultat à la trop grande humidité du vallon qui, situé entre les deux pics les plus élevés de l'île, est presque toujours couvert de nuages, et trop exposé aux fréquentes averses, dont les effets ne s'étendent que rarement aux parties basses et aux côtes. Nous avons remarqué, dans ces îles, ce que nous avions fréquemment observé aux îles Sandwich; c'est que pendant qu'il pleuvait très-fort sur les montagnes, placés à leurs pieds et sous le vent, nous ne recevions pas une seule goutte d'eau. On ne saurait douter que si l'on ne trouve pas d'eau sur la plupart des îles Galapagos,, cela ne tient qu'à la nature encore trop perméable du sol qui, n'étant en général composé que de pierres de laves détachées, de scories et de cendres volcaniques, absorbe toute celle qui tombe, et l'empêche ainsi de s'écouler et d'arriver jusqu'au rivage.

      Cependant, on peut prévoir que dans un temps plus

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ou moins rapproché, cet inconvénient disparaîtra complétement. Cela aura lieu, sans doute, lorsque les plantes, par leur décomposition successive, auront formé assez de terre végétale pour que les différentes parties du sol puissent s'agglomérer, et qu'il cesse d'être perméable. Déjà même dans le vallon de la Floriana, où la terre végétale est plus profonde, on peut aujourd'hui, dans plusieurs endroits, se procurer de l'eau en creusant. Dans une gorge, située à l'Est de la montagne qui sert d’abri au vallon dans cette aire de vent, on trouve un lac qui n'assèche que rarement et dont les eaux, dans la saison des pluies, sont déversées vers la côte de l'E. S. E., mais elles n'arrivent point jusqu'au rivage, le terrain n'étant pas encore assez compacte.

      En examinant avec attention les îles Galapagos, en général, et chacune d'elles en particulier, on remarque que les parties les plus élevées de ces îles sont de beaucoup les plus fertiles; que la terre végétale y est plus profonde; qu'elle conserve plus de fraîcheur et qu'en descendant vers le rivage, les couches de terre sont moins épaisses et plus rares; que cette diminution du terroir est accompagnée d'une décroissance pareille dans la végétation; on remarque enfin, qu'en descendant du sommet vers les côtes, les mêmes plantes deviennent moins vivaces et les arbres plus rabougris. C'est au point que, sur beaucoup de ces îles, la végétation cesse presqu'entièrement avant d'arriver jusqu'au bord de la mer; que, sur le plus grand nombre, il n'y a rien encore au rivage, pas même un brin d'herbe. Là le sol, composé seulement de pierres

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volcaniques et de scories, se montre à nu, noir et improductif, et même à marée basse, on ne trouve pas une plante marine, pas un fucus sur la plage.

      Dans quelques-unes des îles Galapagos, les sommets ou seulement quelques parties de ces sommets, offrent des traces de végétation; dans d'autres, la végétation est plus avancée et descend jusqu'au tiers ou à la moitié de la côte; et même, jusqu'au rivage. Sur les îles qui semblent de plus récente formation, la végétation se montre seulement sur les pics et sur quelques parties isolées, où elle forme des espèces d'oasis qui contrastent, par leur fraîcheur, avec l'aspect brûlé et noir du sol dont elles sont environnées.

      Il semble résulter de ces observations, que sur les terrains volcaniques de nouvelle formation, la végétation commence par s'emparer des sommets où une humidité constante, due à l'effet de la condensation qu'ils opèrent sur l'air, donne lieu a une première décomposition du sol, et en quelque sorte à la création d'un limon qui sutfit pour donner naissance à une première végétation, qui peu à peu s'accroît et s'étend en descendant à mesure que les plantes, par leur destruction renouvelée, forment des terres végétales qui permettent à ces plantes de prendre successivement plus de développement et de vigueur. D'où il suit que les îles les plus fertiles doivent nécessairement être les plus anciennes, et vice versa.

      D'après tout ce qui précède, on voit qu'il serait facile de classer les îles Galapagos d'après leur âge, si toutefois on ne pouvait présumer, et avec raison,

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qu'une plus grande élévation des montagnes, principe d'une plus grande humidité, ne soit une cause d'accélération dans le développement de la végétation et des conséquences heureuses qu'elle entraîne après elle. Il serait très-curieux, cependant, de connaître, par tel degré de latitude donné, combien il faut de temps pour convertir une masse informe et stérile de pierres volcaniques et de scories, en un terrain fertile et arrosé. Ne serait-il pas possible par quelques observations bien constatées, d'obtenir la solution de ce problême?

      Si les premiers navigateurs qui ont visité les îles Galapagos ont bien vu, il n'y avait d'eau nulle part sur ces îles, au temps de leur découverte; et même plus tard, à une époque encore bien récente, celle de la croisière de la frégate des Etats-Unis l'Essex, en 1813, on ne connaissait qu'une source sur l'ile de la Floriana. Le commandant Porter passa cependant auprès de l'île Chatam, et ne vit pas les deux cascades qui, de la pointe du S.E. de cette île, tombent à la mer: il manquait d'eau, il était pourtant très-intéressé à bien voir! est-ce qu'alors ces cascades n'existaient point et que le terrain étant devenu depuis plus compacte, permette aujourd'hui l'écoulement des eaux qui, peutêtre à cette époque, étaient encore absorbées entièrement avant de parvenir au rivage ? L'ignorance dans laquelle étaient, à l'égard de ce fait, tous les baleiniers anglais qu'il avait fait prisonniers, semblerait le faire croire. Mais revenons à la Floriana.

      Après avoir examiné pendant quelques instant le ta-

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bleau qui s'offrait à nous, nous commencâmes à descendre dans le vallon; laissant sur notre gauche quelques chacras, nous nous arrêtâmes à la première case que nous trouvâmes sur notre droite; située sur un petit mamelon, elle domine la vallée et la vue que l'on a de ce point est aussi étendue qu'agréable. Cette habitation appartenait à un jeune homme nommé Para qui, en ce moment, remplissait les fonctions de gouverneur: il nous reçut avec une affectueuse politesse, et sa femme nous fit de son mieux les honneurs de sa maison, dont la tenue et la propreté faisaient son éloge, mais dont l'extrême simplicité ne donne lieu à aucune description particulière. Accompagnés du gouverneur, nous nous acheminâmes à pied vers une grande case de meilleure apparence, qui a un étage, et est située dans la partie orientale du vallon, à la nais sance même de la montagne, qui en est la limite de ce côté; cette habitation est la plus considérable de l'établissement, et semble, par sa position, devoir être, un jour, le centre de la capitale à venir. Cette maison était autrefois la propriété et la résidence de M. le gouverneur don Jose Willamil. Elle était alors occupée par une dame et ses deux soeurs; cette dame, femme d'un officier de Guayaquil, exilé à la suite d'une tentative de révolution dans laquelle il s'était fait général, avait accompagné son mari dans sa retraite, et elle se faisait estimer des habitants, dont elle était aussi très-aimée, en donnant l'exemple de toutes les vertus et surtout celui de la résignation à sa mauvaise fortune. Elle vivait là fort isolée, entourée seulement

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de ses soeurs et de deux jolies petites filles qui étaient toute sa consolation, car son mari habitait sur l'île James où il était occupé d'une entreprise industrielle. Il faisait faire la chasse aux tortues de terre pour en extraire de la graisse; ce produit, très-recherché, a une grande valeur dans le commerce et il est employé, pour la cuisine, de préférence au sain-doux et à la graisse de boeuf, d'un usage général sur le continent voisin.

      Cette industrie, très-productive, a malheureusement amené la destruction presque complète des tortues de terre dont ces îles abondaient; elles offraient un rafraîchissement très- précieux pour les baleiniers. Il n'était point de bâtiment qui, à son passage aux îles Galapagos, n'en prît en approvisionnement jusqu'à deux ou trois cents; elles se conservaient parfaitement pendant un an et dix-huit mois, dans la cale des bâtiments, sans qu'il fût nécessaire d'en prendre soin, et sans leur donner de nourriture. Le journal du capi taine Porter dit qu'après ce laps de temps, elles ne paraissaient pas avoir souffert et, qu'au contraire, elles étaient meilleures. Le même journal nous apprend encore qu'il y en avait qui pesaient de trois à quatre cents kilogrammes. Celles que l'on rencontre aujourd'hui sont déjà très-rares et leur poids varie seulement de cinq à cinquante kilogrammes au plus. On assure, cependant, que les tortues sont encore très-nombreuses sur les îles d'Albemarle, de Chatam et de Hood. Les habitants de la Floriana, jugeant par le peu d'accroissement que prennent les tortues d'une

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année à l'autre, que ces animaux sont un grand nombre d'années avant d'acquérir leur entier développement, s'imaginent qu'ils ont une existence séculaire.

      Nous reçûmes un gracieux accueil dans la maison de las señoritas1, c'est ainsi que toute la population les désigne: elles nous offrirent un très-bon repas, composé des seules productions de la Floriana; au lieu de pain, on nous servit des galettes faites avec de la farine de maïs. Après avoir joui quelque temps d'une douce et agréable réception, nous allâmes nous promener dans les environs de cette maison, et voir une grotte dans laquelle une eau claire découle du rocher dans un petit bassin creusé pour la recueillir, et d'où elle s'échappe ensuite, après l'avoir rempli, pour aller se perdre à quelques pas dans le sol spongieux qui l'avoisine; nous recueillimes dans cette fontaine plusieurs coquilles de la famille des paludines. Auprès de cette source dont l'eau est peu abondante, mais suffit, cependant, à la consommation de tous les habitants, nous remarquâmes des fours creusés dans la roche de la montagne, à l'instar de ceux que l'on voit sur les bords de la Loire, pratiqués dans le tuf des coteaux. Non loin de ces fours, nous visitâmes une espèce de caverne peu profonde, que l'on prétend avoir été la demeure de Fitz-Patrick et de ses compagnons.

      Pressés par l'heure, nous allâmes prendre congé de nos hôtes, puis nous rejoignîmes la maison du gou-


      1 Les petites dames.

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verneur, où nous avions laissé nos équipages. En traversant la vallée une seconde fois, les nombreuses averses qui étaient tombées pendant notre excursion, en avaient rendu le terrain gras et le marcher difficile: on s'extasiait, néanmoins, sur la beauté du jour que nous avions choisi, ce qui doit faire penser que les pluies y sont très-fréquentes à cette époque de l'année. Nous arrivâmes promptement à la plage, où nous nous embarquâmes aussitôt, et déjà il était nuit, lorsque nous rejoignîmes la frégate.

      En retournant de l'établissement de la Floriana à la plage, nous remarquâmes que depuis la première source jusqu'au rivage, il n'était pas tombé une seule goutte d'eau: la pluie s'était donc concentrée dans le vallon; la température toujours agréable et souvent fraîche dans le bassin supérieur de l'ile, devient quelquefois insupportable par l'excessive chaleur que l'on éprouve en descendant vers la côte: la différence de température du sommet de l'île au rivage, est toujours de 3 à 4 degrés au moins.

      Les îles Galapagos, situées sous l'équateur même, n'ont, à proprement parler, que deux saisons, que l'on divise en sèche et en pluvieuse, ou très-exactement, deux hivers et deux étés. Chaque fois que le soleil passe à l'équateur, le temps est très-orageux et à grains; les pluies sont abondantes et très-fréquentes. Dans l'intervalle des grains, le temps est calme, lourd, et la chaleur excessive, cependant le climat est toujours sain; aucune maladie ne s'y est manifestée depuis l'établissement de la colonie.

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      Pendant que le soleil est à l'équateur, les vents sont plus variables; alors, ils passent quelquefois au N.O. et à l'Ouest, mais lorsqu'ils viennent de ces directions ils ne sont jamais très-forts; les brumes seules sont fréquentes.

      Dans la belle saison, c'est-à-dire, lorsque le soleil est vers les tropiques, les vents alizés sont plus frais; ils sont plus dépendants du Sud quand le soleil est au tropique du capricorne, et plus vers le Nord quand il est à celui du cancer. Lorsque, dans ces dernières saisons, les vents passent à l'Ouest ou au N. 0., ce n'est qu'instantanément et ils sont toujours faibles: les vents les plus forts soufflent ordinairement du S.S.E. au S.S.O., mais il est rare qu'ils obligent à avoir plus de deux ris dans les huniers.

      Lorsque le soleil est aux tropiques, le temps est très-beau; la température est toujours élevée, mais délicieuse, étant rafraîchie par les brises régulières qui dominent alors.

      Pendant notre promenade dans le vallon de la Floriana, nous étions fréquemment entrés dans les cases des habitants: partout nous avions été accueillis avec bienveillance, on nous offrait de la salade, des melons et du lait; mais partout il m'a semblé que les habitants, bien qu'assez confortablement établis, paraissaient vivement désirer leur retour sur le continent: ils semblaient ne se considérer là, que comme habitants temporaires.

      Je présume qu'une des causes principales de la désaffection des colons pour cet établissement provient de

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la faute qui a été commise, de mêler parmi eux des gens dépravés et regardés comme le rebut de la société: la crainte d'être confondus avec eux n'est pas le moindre de leurs sujets de mécontentement. Il me semble également que les hommes habitués au mouvement et à l'agitation des grandes villes, sont les moins propres à fonder une colonie et les moins disposés à prendre les habitudes de la vie champêtre; ils sont peu capables d'en apprécier les douceurs, l'agitation dans laquelle ils ont vécu étant devenue pour eux un besoin et comme un élément indispensable de leur existence.

      La plupart des montagnes de l'île Charles montrent des traces, plus ou moins certaines, de l'existence de volcans; la nature de leur sol et leurs sommets affaissés à l'intérieur ne laissent aucun doute à cet égard. Il existe encore aujourd'hui sur les îles d'Albemarle et de Narborough des volcans en activité; tout récemment encore, en 1836, ils ont eu plusieurs éruptions successives et depuis, ils semblent toujours fumer.

      Les tremblements de terre, ce terrible fléau du continent d'Amérique, ne sont point connus aux îles Galapagos; du moins depuis que ces îles sont occupées, on n'en a éprouvé aucune secousse.

      Avant l'arrivée des colons, les îles Galapagos ne possédaient qu'un très-petit nombre d'animaux; parmi les quadrupèdes, on ne comptait que les tortues de terre, qui parvenaient à une grosseur prodigieuse; les lézards rouges et gris et une autre espèce qui paraît amphibie: cette dernière espèce est beaucoup plus grosse que les

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deux premières, elle est noire sur le dos, jaune sous le ventre, et depuis la tête jusqu'à la queue elle est armée, sur le dos, d'une rangée d'épines en forme de scie: cette variété est hideuse à voir et ne se trouve pas sur le continent; elle ressemble cependant, mais de loin, aux iguanas de la rivière de Guayaquil. Le rat était également au nombre des habitants des Galapagos, mais il n'est pas certain qu'il n'y ait point été importé par les navires qui, à diverses époques, ont visité cet archipel.

      Les oiseaux de terre sont peu nombreux dans ces îles; on remarque parmi eux une très-jolie tourterelle bonne à manger; un oiseau très-familier que l'on nomme sueño sur la côte du Pérou; une petite espèce de canard, la poule d'eau; des flamands, des aigrettes des deux espèces, des crabiers; et, parmi les oiseaux de mer, on compte plusieurs espèces de goëlands, le pélican gris et la frégate. Ce dernier reçoit des Anglais le nom de man-of-war-hawk 1: cet oiseau est trèscommun sur l'île Gardner, où il niche en grand nombre; il n'était point farouche et se laissait prendre à la main.

      On ne trouve sur les îles Galapagos qu'un très-petit nombre d'insectes et seulement quelques papillons; mais on y rencontre un très grand nombre de sauterelles à ailes jaunes et une immense quantité de scorpions ou mille pieds, qui atteignent jusqu'à 18 ou 20 centimètres de longueur; leur piqûre est venimeuse mais n'est pas dangereuse; une espèce de serpent est


      1 Epervier-vaisseau.

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aussi assez commune: elle n'est pas non plus malfaisante.

      Depuis l'occupation des îles Galapagos, on y a introduit presque tous les animaux domestiques; on compte déjà cent trente têtes de bétail, vaches, taureaux, boeufs ou veaux, quelques chevaux, un assez grand nombre d'ânes, plusieurs centaines de chèvres, et on porte le nombre des cochons au-dessus de deux mille. La plupart de ces animaux sont libres dans les montagnes où ils se multiplient. Les moutons, soit par défaut de soins, soit à défaut de plantes convenables à leur nourriture, n'ont pas bien réussi: peut-être aussi les chiens et les cochons en ont-ils détruit beaucoup et sont-ils l'unique cause de cette non-réussite.

      Les pâturages sont assez abondants dans l'ile, on remarque cependant, qu'en général, aucun des animaux n'engraisse, ce qui ne les empêche pas d'être d'une bonne qualité. Le trop grand nombre de chiens que les habitants entretiennent sous le prétexte de leur sûreté, est une véritable calamité pour les tortues dont ils achèvent la destruction.

      Le 27, au matin, pour tenir ma parole aux habitants de la Floriana, je mis mon canot à la disposition de messieurs les missionnaires apostoliques Devaux et Borgella, et ils se rendirent à Black-Beach et de là à l'établissement principal, où ils furent accueillis avec empressement; ils célébrèrent la messe et baptisèrent neuf enfants, premiers nés de la Floriana: ils donnèrent encore des consolations à tous, prêchèrent sur l'oubli des offenses, la nécessité de

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la prière, et consacrèrent, pour lieu de sépulture, un terrain, dont ils bénirent la première croix. Les missionnaires ne revinrent à bord que le lendemain, bien heureux d'avoir ainsi commencé leur ministère: c'était en effet d'un bon augure pour ces messieurs. Le gouvernement, par la nature de la mission dont nous étions chargés, avait mis à ma disposition différents objets de première nécessité, propres à être donnés à des peuples nouveaux qui manquent encore d'industrie. Je crus pouvoir disposer de quelques-uns de ces objets, tels qu'outils, vases en terre et graines potagères, en faveur de cette colonie naissante: je regrettai seulement de ne pas être plus riche, bien persuadé qu'en cela je ne faisais que remplir une des intentions bienveillantes du roi.

      Les îles Galapagos, situés sous l'équateur, à environ 60 lieues à l'Ouest des côtes occidentales de l'Amérique méridionale, s'étendent en longitude de 91° 37' 23" à 94° 21' 20" à l'Ouest du méridien de Paris: elles sont comprises entre les parallèles de 1° 42' Nord et de 1° 24' 20" Sud.

      Cet archipel, composé de treize îles principales et de plusieurs îlots ou rochers isolés qui les avoisinent, est incontestablement d'origine volcanique; toutes les îles qui en font partie sont élevées, et peuvent être aperçues de 10 à 20 lieues par un temps clair. L'époque de leur découverte remonte aux premiers temps de la conquête du Mexique et a précédé celle du Pérou, vers lequel les aventuriers à qui on l'attribue, se proposaient de se diriger, mûs par cette fièvre d'ambition, de gloire et de

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fortune qui agitait les Espagnols de cette époque, et particulièrement cette réunion de gens de toutes nations connus sous le nom de flibustiers, nom qu'ils ont illustré par les plus brillants faits d'armes. Une expédition combinée par ces derniers, étant sortie, à contre saison, de Panama, pour remonter les côtes de l'Amérique vers le Sud, où ils espéraient faire d'importantes découvertes, fut battue par une tempête dans le golfe de Panama, et, harcelée par des mauvais temps et des contrariétés prolongées et imprévues, qui amenèrent la ruine des bâtiments dont elle était composée, une partie périt en mer; une autre partie arriva à l'ile de la Gorgone, située sur les côtes du Choco. Enfin, plusieurs bâtiments désemparés furent jetés au large des côtes et abordèrent aux îles Galapagos, ignorant leur situation et désespérant de leur salut. Ces marins séjournèrent dans cet archipel sans pouvoir en sortir, faute de bâtiment, ce qui, assure-t-on, fut cause du nom d'Iles Enchantées 1 que recurent alors les îles de ce groupe; nom par lequel elles ont été longtemps désignées. Inhabitées avant l'arrivée des flibustiers, elles sont restées désertes depuis, jusqu'à une époque toute récente, où elles ont commencé à être fréquentées par les baleiniers américains et anglais; ces baleiniers y firent une pêche abondante, et trouvèrent de plus pour leurs équipages des ressources précieuses en rafraîchissements dans le grand nombre de tortues de terré dont elles étaient peuplées et d'où elles ont


      1 Islas encantadas.

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pris le nom Galapagos, sous lequel elles étaient également désignées, et qui semble aujourd'hui devoir être remplacé par celui de Floriana.

      Ces explorateurs modernes trouvèrent les débris des habitations des flibustiers, ce qui fit connaître qu'ils s'étaient établis sur les îles de James et de Chatam, deux des plus fertiles et des plus convenables à un établissement permanent. Les baies où ils rencontrèrent ces vestiges ont reçu d'eux le nom de Baie des Boucaniers, dénomination qui consacre dans l'histoire la grandeur du projet conçu par ces flibustiers1, le désastre dont il fut suivi et leur séjour dans les îles de cet archipel. Depuis l'époque où, pour la première fois, ces îles furent visitées par des baleiniers, le grand nombre de baleines qu'ils y rencontrèrent les y ramena, et avec eux d'autres baleiniers dont le nombre s'est accru chaque année jusqu'en 1834; aujourd'hui cet archipel est beaucoup moins fréquenté, les baleines ayant peu à peu diminué dans ces localités, soit qu'elles aient fui vers d'autres parages, soit qu'elles y aient été détruites. Le nombre des baleiniers a également suivi la même progression décroissante.

      Vers les premiers temps de l'établissement de la pêche de la baleine, dans les îles Galapagos, un nommé Fitz-Patrick, Irlandais de naissance, maltraité et malheureux sur le navire où il était embarqué, conçut le


      1 Les noms de boucaniers et de flibustiers étaient alors synonymes; c'est de la première de ces sociétés que la deuxième tire son origine.

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projet de rester dans ces îles, et, nouveau Robinson, d'y vivre seul et de son industrie. Son bâtiment étant mouillé à l'ile Charles, il se cacha, pour exécuter son projet, jusqu'au moment du départ, puis il travailla à se former une habitation. En peu de temps il parvint à cultiver les pommes de terre et quelques plantes potagères, ce qui lui donna les moyens d'établir un commerce d'échange avec les baleiniers, afin de se procurer des effets, de l'eau-de-vie, et même, pour son malheur, de l'argent. En effet, ayant eu l'imprudence de laisser soupçonner son trésor, des matelots, excités par la cupidité, le volèrent, après l'avoir battu et garotté et l'abandonnèrent ensuite dans cet état. FitzPatrick parvint cependant à se délier et jura de se venger. L'occasion s'en présenta bientôt. Un baleinier étant venu mouiller sur la rade, le capitaine lui demanda, comme de coutume, des rafraîchissements; Fitz-Patrick était connu de tous les baleiniers, de fait, ou du moins par tradition; on savait qu'avec son secours il était possible de se procurer quelques végétaux; Fitz-Patrick en promit mais il exigea qu'on envoyât une baleinière pour les chercher et que les matelots vinssent à sa caverne pour les prendre. Tout étant ainsi réglé, il attendit, caché dans les rochers, auprès du débarcadère, que la baleinière fût échouée à la plage et que les matelots fussent partis. Alors il sortit de sa retraite et brisa l'embarcation de manière qu'elle ne pût servir à les ramener; il rejoignit ensuite son habitation. Les matelots n'ayant trouvé personne à la caverne, après avoir cherché quelque temps dans les en-

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virons, étaient relournés à la plage: ils virent alors l'impossibilité où ils étaient, de rejoindre leur bâtiment, et ils se trouvèrent, pour leur subsistance, à la merci de Fitz-Patrick. Celui-ci étant armé les obligea à travailler pour son compte et devint ainsi une espèce de souverain. Il paraît que ses compagnons s'accoutumèrent à leur sort, ou plutôt que, séduits par ses promesses et l'espérance de partager les bénéfices de son établissement, ils consentirent à rester auprès de lui, d'où bientôt s'en suivit une prospérité nouvelle. Cependant, Fitz-Patrick, souvent trompé par les baleiniers, se dégoûta de sa position et forma le dessein de passer sur le continent d'Amérique. Pour effectuer ce nouveau projet, il enleva une embarcation à un navire baleinier et, suivi de ses gens, au nombre de six en tout, il partit des Galapagos sans boussole et sans moyen de se diriger; cependant il fit route vers l'Est, en se guidant sur le soleil, et après des peines infinies, que l'on conçoit aisément, puisqu'il avait à lutter contre les vents et les courants qui, généralement, portent à l'Ouest avec une vitesse de 18 à 20 milles en vingtquatre heures, Fitz-Patrick aborda à la baie de Tumbez, à l'embouchure du fleuve de Guayaquil. De Tumbez, il alla à Payta, où bientôt sa conduite excita des soupçons. Il s'était déjà marié avec une Indienne et parlait de retourner avec elle aux îles Galapagos, lorsque le bruit de son départ de l'île Charles, avec cinq matelots, dont aucun n'était arrivé avec lui, se répandit et éveilla l'attention sur son comple. Il fut enfin arrêté et conduit dans les prisons de San-Miguel de

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Piûra; depuis cette arrestation, on ignore ce qu'il est devenu: on n'en a plus entendu parler.

      Les îles Galapagos se trouvèrent ainsi désertes de nouveau, jusqu'à une époque plus rapprochée où FitzPatrick eut un successeur dans un nommé Johnson, naturel d'Altona, qui était suivi d'un Hollandais; tous deux avaient déserté d'un baleinier anglais, et imitant l'exemple donné par leurs prédécesseurs, ils s'adonnèrent à l'agriculture. Bientôt après leur établissement dans l'île Charles, ils fournissaient aux baleiniers des pommes de terre, des camotes, des citrouilles, des melons, etc.

      En 1830, le capitaine Lawson, qui déjà avait visité ces îles et connaissait leur fertilité, et particulièrement celle de l'île Charles, y conduisit quelques animaux domestiques, tels que chèvres, moutons, cochons pour les y mettre en liberté dans l'espérance fondée d'en retirer, dans un temps peu éloigné, de grands avantages. Il trouva Johnson établi sur cette île; cette contrariété ne le rebuta pas cependant: il lui confia tous ses animaux à la seule condition qu'il ne détruirait pas les races. Fort peu de tems après cette époque, en 1831, quatre personnes, du nom de Fernandez, Villasmil, Garcès et Barck, tous officiers distingués de l'armée de Colombie, proposèrent au gouvernement de l'Equateur de créer un établissement fixe aux îles Galapagos. Le gouvernement de cet état, se présumant, avec raison, suffisamment fondé en droit, relativement à la possession de ces îles, agréa cette proposition qui reçut aussitôt un commencement

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d'exécution. L'île Charles, choisie pour être le cheflieu de l'établissement, reçut dès ce moment le nom de Floriana, nom donné par courtoisie pour le général Florès, alors président de la république, et qu'elle conserve définitivement.

      La première expédition, conduite par les quatre officiers sus-nommés, fut composée de douze à quatorze laboureurs qui s'offrirent volontairement pour commencer cette colonisation, et aussi de quelques criminels politiques, condamnés à mort, qui obtinrent leur grâce, à la condition qu'ils iraient vivre dans cet établissement. En partant de Guayaquil, la colonie se dirigea sur l'île Charles, où elle s'établit d'abord auprès de la source que l'on trouve à moitié côte, à environ un mille et un tiers dans l'Est de la plage de Black-Beach, au lieu même où Johnson s'était fixé.

      Les trois premiers des officiers que nous avons déjà cités renoncèrent promptement à leurs projets de colonisation et retournèrent à Guayaquil, en laissant à M. Barck le gouvernement de la colonie. Ce gouverneur eut beaucoup à souffrir dans les commencements de son entreprise, et après une année de résidence, pendant laquelle il ne reçut aucun secours de la métropole, il sollicita et obtint son remplacement. M. Joseph Willamil, homme fort distingué par son éducation et par ses hautes capacités administratives, et l'un des premiers compagnons du général Bolivar, dans la guerre qu'il entreprit pour l'indépendance du Pérou, proposa au gouvernement de se charger de la direction de la Floriana. Le gou-

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ernement de l'Equateur accepta, avec empressement, les services d'un homme qui assurait le succès de cette colonisation, et octroya à M. Willamil une charte qui lui donnait de grands priviléges pour lui et ses descendants.

      M. Willamil, confiant dans l'avenir, se disposa à passer à la Floriana, où il conduisit un nouveau détachement de colons, composé de quelques condamnés politiques, de quelques volontaires de l'un et de l'autre sexe, et, bien malheureusement aussi, de quelques prisonniers qui avaient été enfermés pour vagabondage et mauvaise vie; il amena également des gens à lui, des bestiaux et tout ce qui lui parut nécessaire pour faire réussir et prospérer un établissement agricole. Arrivé à la Floriana, il explora toute l'ile avec un soin particulier, et reconnut bientôt la fertilité du vallon supérieur, dont il distribua les terres aux colons. Animés par son exemple, tous travaillèrent activement à se construire des habitations, à défricher, à planter, et, presque sans secours étrangers et sans aucun appui, la colonie, sous son administration, à la fois ferme et sage, prenait du développement et devenait florissante.

      A la fin de 1834, la population, était au plus, de cent habitants. En 1835, un nouveau détachement de trente sept colons des deux sexes, arriva à la Floriana: il fut très promptement suivi par d'autres colons qui arrivèrent par divisions plus ou moins nombreuses et à des époques très-rapprochées les unes des autres.

      Jusqu'alors M. Willamil avait travaillé sans relâche à

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sa colonisation et avait fait de grands sacrifices pour introduire dans l'île les races d'animaux domestiques qui y manquaient; il y avait introduit et naturalisé un assez grand nombre d'ânes, quelques chevaux et des moutons; depuis, tous ces animaux s'y sont multipliés. M. Willamil fut relevé pendant l'année 1835, par M. Lawson, nommé gouverneur par intérim; il administra la colonie jusqu'au commencement de 1836; époque du retour de M. Willamil à la Floriana. Pendant cette année les habitants vendirent pour environ 7,000 piastres fortes 1 d'approvisionnements ou de rafraîchissements aux bâtiments qui vinrent relâcher aux îles Galapagos.

      A la fin de 1835, la population s'élevait déjà à environ 350 personnes, dont plus de 150 étaient des soldats ou militaires exilés pour s'être mêlés aux mouvements politiques qui troublèrent la république de l'Equateur dans les derniers mois de 1834. Aussitôt que la tranquillité fut rétablie dans l'état, beaucoup de ces condamnés furent graciés et retournèrent à Guayaquil, ce qui réduisit considérablement le nombre des colons.

      Après le retour de M. Willamil, en 1836, il s'occupa avec soin de l'administration et chercha à étendre les revenus de la Floriana, en faisant quelques essais de pêche de la baleine; cette industrie qu'il voulait créer, l'obligea à de nombreux déplacements et fut cause, assure-t-on, de discussions qui s'élevèrent entre lui


      * Environ 37,500 francs, valeur intrinsèque.

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et le gouvernement de l'Equateur qui, dès lors, sembla, le président n'étant plus le même, contester à M. Willamil quelques-uns de ses priviléges, dissidence fàcheuse qui obligea ce gouverneur à se retirer momentanément au Pérou pour débattre ses droits et qui le força, en définitive, à abandonner une entreprise dont le succès lui est généralement attribué.

      Quelques troubles surVenus dans la colonie après le départ de M. Willamil, engagèrent plusieurs habitants à retourner sur le continent, et la population actuelle se trouve, de nouveau, réduite à moins d'une centaine de colons. Cependant, comme plusieurs d'entre eux, qui, par suite de cet esprit inquiet qui fait voir le bienêtre où l'on n'est pas, avaient quitté leurs établissements pour retourner sur le continent, y sont reVenus depuis, ce fait, très-favorable à la colonisation, doit, je pense, faire regarder ces îles comme définitivement peuplées.

      Les îles Galapagos sont donc, dès à présent, un lieu de relâche important pour les navigateurs; ils sont sûrs d'y trouver des rafraîchissements en vivres, du bois en abondance, et même de l'eau, à l'ile Chatam, où, cependant, elle n'est point encore facile à faire, le lieu où elle se trouve étant situé au vent de l'île, et en pleine côte. Un bâtiment de commerce pourrait trouver à s'approvisionner à l'ile de la Floriana, et même à la partie de l’E. S. E. d’Albemarle; presque toutes ces îles offrent d'ailleurs des mouillages sûrs.

      L'ile Hood, la plus méridionale des îles Galapagos, est située à la partie S. E. de cet archipel; elle

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est de moyenne élévation, et peut être aperçue de 8 à 10 lieues par un temps favorable.

      Toute la côte du Sud et de l'Est paraît saine, et peut être approchée, dans ces directions, jusqu'à un mille ou deux du rivage.

      Cette île est couverte d'une végétation d'une chétive apparence; cependant on peut s'y procurer du bois de chauffage.

      Jusqu'à présent, on ne connaît aucune source d'eau douce sur cette île, et le terrain étant composé de pierres de laves et de scories, il est impossible de s'en procurer en creusant.

      Au Nord de l'île Hood, une petite île, peu écartée de la côte, forme, avec le rivage du Nord, un assez bon mouillage que l'on nomme Baie du commodore Rodgers. Cette baie n'est fréquentée que par les baleiniers, qui y viennent prendre du repos et embarquer des tortues de terre, que l'on trouve encore en assez grand nombre sur cette île. Dans la saison de la ponte, les tortues de mer sont aussi très-nombreuses sur la plage de cette baie, qui est de plus très-poissonneuse.

      En allant prendre le mouillage de l'île Hood, on ne doit pas pénétrer dans la baie par moins de 12 brasses de fond. Plus à l'intérieur, il y a des roches sous l'eau qui seraient dangereuses, si les vents passaient au N.O. ou à l'Ouest.

      A la pointe Ouest de l'île, il y a quelques roches sous l'eau qui se prolongent dans cette direction, et brisent toujours. Plus au large et dans le N.O., à 12 ou 14 milles environ, on trouve une basse nommée Cowan,

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cette basse brise toujours et n'a point été explorée jusqu'à ce jour.

      L'ile Chatam est la plus orientale des îles Galapagos, et l'une des plus importantes pour les ressources qu'on y trouve; elle est très-élevée dans sa partie du Sud et du S. E.; son sommet est presque toujours environné de nuages, et peut être aperçu de 15 à 18 lieues, par un temps clair.

      Dans le Nord et dans le N.E. de l'ile Chatam, les terres ne sont plus que d'une moyenne élévation, et toute cette partie est curieuse par la multitude de petits cônes que l'on y voit, et qui, sans aucun doute, étaient jadis autant de cratères de volcans. Cette partie de l'île est stérile ou presque entièrement dépourvue de végétation, tandis que la partie du Sud, couverte d'une belle verdure, est boisée et arrosée.

      La côte du Sud de Chatam, accore au rivage, paraît saine et semble pouvoir être rangée de très-près; nous l'avons parcourue à un ou deux milles au plus de distance, et n'avons point trouvé de fond par 200 brasses. On sait néanmoins que très-près de la côte il y a un fond qui s'étend assez au large pour offrir un mouillage.

      Il y a plusieurs rades à choisir sur les côtes de cette ile. Une des meilleures est celle de la baie des Boucaniers, à la côte du N. O.; elle a cependant l'inconvénient d'être dans la partie la plus stérile de l'île. Le mouillage de la baie de Stéphens, près du rocher Kicker, est également très-bon; on le préfère généralement à tous les autres, à cause de sa proximité de

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l'aiguade et de la facilité qu'on trouve à s'y procurer du bois. Les baleiniers viennent à ce mouillage pour y faire de l'eau, du bois, et prendre des tortues de terre qui sont encore assez nombreuses sur cette île.

      L'île Chatam, d'ailleurs, n'est point habitée, mais elle serait susceptible de l'être; elle est fertile dans sa partie méridionale; on y remarque des terrains propres à la culture et des pâturages étendus. Les arbres y sont également d'une plus belle apparence que ceux de l'île Charles.

      Sur la côte du Sud de cette île, et au milieu d'une gorge de montagnes, nous aperçûmes une cascade d'un volume d'eau qui nous parut assez considérable; c'est l'aiguade la plus abondante de toutes les îles de cet archipel.

      L'île Barington a très-peu d'étendue; elle est élevée et très-escarpée au rivage; elle paraît plate sur le sommet, où l'on aperçoit quelques traces de végétation. Ses côtes sont saines, mais elles n'offrent aucun mouillage. Il est probable, néanmoins, que l'on pourrait jeter l'ancre sur sa côte du N.O., et très-près de terre; nous ne l'avons approchée qu'à huit milles de distance.

      L'île Porter ou Indéfatigable est située dans le N.O. du monde de Barington. Nous ne l'avons aperçue qu'à la nuit, et à une distance de huit à dix milles. Elle a, comme beaucoup de ces îles, une végétation peu développée; elle est d'ailleurs élevée et accore au rivage. On n'y connaît aucune rade fermée.

      L'île Dower est située par 0° 19' 30" de latitude

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Nord et 91° 19' 33" de longitude Ouest; elle est de moyenne élévation et presque sans accidents de terrain; de loin, elle paraît avoir une surface plane; elle est la moins élevée de toutes les îles Galapagos; cependant, quoique le temps ne fût pas très-favorable, nous l'avons aperçue, du pont de la frégate, à 25 milles de distance.

      Cette île, que nous avons contournée de l'Est à l'Ouest par le Nord, à la distance d'un à deux milles, nous a paru saine. Nous n'avons point trouvé de fond par 200 brasses.

      On remarque sur le sommet de Dower une végétation jaune et pauvre, qui paraît cependant un peu plus active dans quelques vallées formées par les accidents du terrain; sa stérilité et son peu d'étendue ne permettent pas de présumer qu'elle puisse être habitée.

      On ne connaît pas de mouillage sur la côte de cette île; il est cependant vraisemblable que vers la partie du N.O. ou N.N.O., on trouverait un lieu convenable pour y laisser tomber l'ancre.

      L'île Bindloës, l'une des îles Galapagos, est située par 0° 21' 20' de latitude Nord et par 92° 52' 33' de longitude occidentale de Paris; elle est à peu près à l'Ouest du monde de l'île Dower, dont elle n'est séparée que par un canal de 26 à 27 milles.

      Cette île, comme toutes celles de ce groupe, est évidemment de formation volcanique; elle est presque entièrement stérile. On aperçoit néanmoins un joli bouquet de verdure dans une anse située sur la côte de l'E. S. E.; mais presque partout ailleurs, la lave

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est à découvert et toute noire, comme si cette île était d'une formation récente. Le terrain est assez tourmenté, et dans quelques creux formés par les accidents du sol, nous remarquâmes quelques commencements de végétation. Ces bouquets de verdure, espèces d'oasis, sont plus nombreux vers le sommet, et deviennent de plus en plus rares et moins étendus en descendant vers le rivage.

      On ne connaît point de mouillage sur la côte de cette île. Nous en avons fait le tour par l'Est et par le Nord à la distance de deux à trois milles, sans jamais trouver le fond par 200 brasses.

      L'île James, ou comme on la nomme aujourd'hui, Santiago, est la plus fertile des îles Galapagos; elle a de bons pâturages et elle est la plus boisée de toutes. C'est aussi celle qui convient le mieux à un établissement fixe. Elle a deux mouillages abrités sur sa côte occidentale; celui de la baie des Boucaniers est le plus au Nord; l'autre est situé au Sud de l'île Albanie; on le désigne sous le nom de baie de la Saline, à cause de sa proximité de la saline naturelle que possède cette île. Jusqu'à ce jour, l'île James n'a point eu d'habitants fixes; mais elle est souvent occupée par des partis de pêcheurs de loups marins, par des chasseurs de tortues de terre, ou par des marins qui viennent y chercher du sel.

      On n'a point encore trouvé, sur les côtes de l'île James, d'aiguade convenable pour approvisionner des bâtiments de quelque importance; l'eau cependant ne manque pas dans l'intérieur. Il y a une foule de ver-

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sants de montagnes dont le sol, aujourd'hui assez aggloméré, permet son écoulement dans les ravins, où les colons que pourrait recevoir cette terre trouveraient à s'approvisionner. Il existe encore un troisième mouillage situé à la pointe Nord de cette île; il est fréquenté par les baleiniers, qui viennent y prendre des tortues, du bois, et même de l'eau à une aiguade que l'on a récemment découverte dans l'intérieur, à peu de distance de la côte.

      L'ile James offre les mêmes productions que celle de Charles et, en général, que toutes les îles Galapagos; on y a cependant trouvé de plus, dans le règne végétal, le goyavier, qui y croit spontanément, et dans le règne animal, un lézard différent de ceux que l'on voit sur les autres îles; celui-ci a le dos rouge, le ventre jaune, et n'a de commun avec les autres, qu'un aspect hideux. Ce lézard devient énorme. Les plus grands ont environ un mètre 30 à 35 centimètres de long, y compris la queue. Leur chair est blanche comme celle des lapins, et, comme eux, ils vivent dans des terriers. Ils sont très-nombreux et bons à manger. Nous avons goûté de ce lézard pour nous assurer par nous-mêmes du cas qu'on doit en faire, et nous pensons que, si l'on pouvait oublier le vilain animal d'où cette chair provient, on en mangerait avec plaisir. Dans toutes les répugnances de ce genre, il y a sans doute beaucoup de préjugé, car les tortues, et plus encore les tatous, sont des animaux repoussants à la vue, et cependant tout le monde en mange sans songer à leur laide figure.

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      L'île Abington a peu d'étendue; elle est montueuse et boisée. On trouve un bon mouillage à sa pointe Sud; il a l'inconvénient de ne pas être abrité des vents régnants. On ne connaît aucune aiguade dans cette île; la végétation cependant y est active et s'étend dans beaucoup de parties du sommet de l'île, jusqu'au rivage.

      Abington n'est point habitée et est peu susceptible de recevoir une population, tant par le défaut de ressources qu'elle offre, que par ses localités exiguës.

      Nous l'avons prolongée du Sud au N. 0. par l'Est, à la distance d'un à deux milles, sans trouver fond à 200 brasses. La pointe N.O. de cette île est basse, et terminée par unechaussée de roches presque à fleur d'eau. Le sommet d'Abington est élevé, et peut se voir de 12 à 15 lieues. Cette terre est plus élevée que celles de Hood, Dower, Bindloës, Indéfatigable, Wénams et Culpepers.

      L'île Wénams, au N.O. du groupe des Galapagos, est située par 8° 24' o' de latitude Nord et par 94° 11' 23" de longitude occidentale de Paris. Ce n'est qu'un gros rocher stérile qui, cependant, a quelque végétation à son sommet. A la pointe de l'O. S. O. il a une grosse roche détachée qui n'est pas à un demimille de cette pointe. Toute cette côte est saine et peut être rangée de très-près. Nous en passâmes par l'Est à un demi-mille de distance environ, et nous n'avons pas trouvé de fond par 200 brasses. Dans l'O.N.O. de Wénams, la côte a une inflexion qui forme une petite baie circulaire, Au large de cette baie est un îlot

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peu élevé et couvert de végétation; il forme, avec la côte, une espèce de port. L'eau, dans ce petit bassin, est profonde, et en cas de nécessité, dans la belle saison, un bâtiment qui aurait quelques avaries pourrait y trouver un abri pour se réparer.

      Au large de Wénams, dans l'Ouest, et à moins d'un mille, on ne trouve pas de fond à 200 brasses.

      L'île Culpepers n'est qu'un gros rocher accore et très-élevé, qui est par 1° 41' 10" de latitude Nord et par 94° 21' 00" de longitude occidentale. Il est situé dans le N.O. de l'ile Wénams, avec laquelle il a une grande ressemblance sous le double rapport de l'élévation et de la stérilité; on voit également une herbe 1 jaunâtre sur son sommet. Cette île est la limite N.O. du groupe des Galapagos.

      A l'Est de Culpepers, on remarque un gros îlot de roches qui est élevé, et n'en est éloigné que d'environ un demi-mille. Cet îlot, percé dans deux directions, a l'apparence d'un arc de triomphe dans le style antique; il est accompagné de quelques brisants qui s'étendent vers l'île, et rendent le passage entre Culpepers et l'îlot, très-dangereux, sinon impraticable.

      L'ile Redondo, ou Ronde, n'est qu'un gros rocher élevé, stérile, isolé et accore, qui est situé dans le N.N.O. du monde de la pointe N.O. d’Albemarle. Les baleiniers, dans les premiers temps de la fréquen-


      * Cette herbe est, je crois, celle que les Américains désignent sous le nom de tussuc-grass; c'est une plante grossière qui s'élève à un mètre ou deux au-dessus du sol.

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tation de ces îles, croisaient auprès de cette roche, à cause du grand nombre de baleines dont elle était toujours environnée. Au moment de notre passage, nous n'en vîmes aucune; il ne s'y trouvait pas non plus de pêcheurs; les baleiniers comme les baleines ont également disparu de ces parages. Le rocher Redondo est situé par 0° 19' 00" de latitude Nord et par 94° 00' 23" de longitude occidentale de Paris.

      L'île Narborough est placée à l'Ouest de l'île d'Albemarle, au milieu de l'arc que forme la côte de cette île, dans cette aire de vent.

      Entre l'ile Narborough et celle d'Albemarle, il y a un canal profond et praticable pour toute espèce de bâtiments; mais on y est exposé à des vents variables, à des courants et à des calmes qui peuvent quelquefois rendre la position critique, car il ne s'y trouve pas de mouillage, à cause de la trop grande profondeur de la mer. L'ile Narborough est tout-à-fait improductive; elle est très-élevée et composée d'une multitude de volcans qui sont presque toujours en activité, ou qui, du moins, fument incessamment. Ses côtes sont accores du côté de l'Ouest, et la mer y brise beaucoup. La pointe N.O. est élevée et coupée à pic; celle du S.O. s'abaisse insensiblement, et l'extrémité de cette pointe paraît ne pas devoir être rangée de trop près.

      Nous n'avons visité que la partie du N.O. de cette île, et au moment de notre passage sur cette côte, le sommet tout entier était enveloppé de nuages et de fumée.

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CHAPITRE XV.

Départ des îles Galapagos. -- Arrivée aux îles Marquises. -- Exploration. -- Baie d'Amanoa. -- Le roi Youtâti. -- Moeurs et coutumes des indigènes.

      Le 15 juillet 1838 au soir, la Vénus se trouvait un peu à l'O. du cap Douglas, de l'ile Narborought; nous apercevions dans le N.E. la pointe du N.O. de l'île d'Albemarle, et vers le S.E. on voyait l'extrémité de la pointe Essex, de la même ile. Du sommet de la Floriana, M. de Tessan avait précédemment relevé cette dernière pointe; tout le groupe des îles Galapagos se trouvait donc ainsi renfermé dans nos routes, ou par nos relèvements et, comme le temps nous manquait, pour entrer dans de plus grands détails hydro-

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graphiques, nous bornâmes là notre exploration et nous nous dirigeâmes vers les îles Marquises.

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Source.
Abel du Petit-Thouars.
      Voyage autour du monde sur la frégate La Vénus, pendant les années 1836-1839, publie par ordre du roi, sous les auspices du Ministre de la Marine, ...
Paris: Gide, Éditeur, 1841. Tome 2
pp. 279-324.

This volume is available at the Hathi Trust.


Last updated by Tom Tyler, Denver, CO, USA, Dec 28 2021.

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